Les paradoxes des millennials
Les millennials, aussi appelés génération Y ou digital natives, sont ces jeunes, âgés entre 25 et 35 ans, dont les caractéristiques semblent déjà entendues : positifs mais individualistes, connectés et toujours en tension, ils plébiscitent l’autonomie et la prise de responsabilité. Didier Pitelet, fondateur de Onthemoon, agence de communication corporate, parle même d’“utopistes peu dociles qui exigent un management entrepreneurial”.
L’identité des millennials s’est forgée dans le contexte socio-économique particulier dans lequel ils ont grandi. Loin de l’insouciance économique et le plein-emploi des Trente Glorieuses, leur enfance ou adolescence est marquée par le chômage de leurs parents et l’avènement d’une société centrée sur l’individu. Malgré les efforts parfois consentis par la jeune génération – études longues et parfois coûteuses, mobilité –, la montée des tensions actuelles sur le marché de l’emploi et les régimes de retraite fragilisés ont renforcé le sentiment de difficulté et de précarité face au monde du travail. À la différence des générations ascendantes qui ont connu les mêmes difficultés, les millennials sont pour autant différents car ils peinent à se projeter et ont de fait un rapport distancié à l’entreprise.
Dès lors, beaucoup d’entre eux raisonnent aujourd’hui moins en termes de “plans de carrière” que d’épanouissement professionnel immédiat. Ils ont moins peur que leurs aînés de prendre des risques et se tournent plus volontiers vers l’entreprenariat : selon l’étude réalisée pour Monster par l’institut YouGove en 2017, 46 % d’entre eux déclarent qu’ils aimeraient travailler à leur compte ou créer leur propre entreprise. L’instabilité du présent et l’incertitude liée à l’avenir feraient-elles des millennials une génération encline à changer de poste régulièrement ? Selon une étude CornerJob, 47 % d’entre eux ont changé d’emploi après une période de trois à cinq ans dans l’entreprise. La raison principale n’est pas le salaire, mais la recherche d’un meilleur équilibre de vie. Pour autant, les millennials continuent d’aspirer à une certaine stabilité, comme en témoignent les chiffres de notre baromètre Apec jeunes diplômés 2018 : la majorité des millenials (55 %) souhaite rester cinq ans ou plus dans la même entreprise, contre 26 % pour une durée de trois à cinq ans, ou 24 % pour une période courte de un à deux ans*.
“Cette population s’est donné les moyens de dire tout haut ce que les précédentes pensaient tout bas.”
Marie-Andree Joulain, consultante relations entreprises, Apec
Une génération porteuse d’opportunités
La jeune génération est porteuse d’avancées dans le champ des modes de travail. Elle plébiscite, par exemple, l’autonomie et la prise de responsabilité. Les millennials ont une vision de l’entreprise, avec des hiérarchies qui s’estompent et une montée en puissance du collaboratif. L’entreprise voit arriver des jeunes cadres qui questionnent les process, les pratiques, n’hésitant pas à partager leurs idées. Dynamisée par ce souffle nouveau, elle améliore alors ses capacités à se renouveler, à innover, à repenser ses modèles et finalement à renforcer sa compétitivité.
Consciente de ces enjeux, la société Mobil Wood (40 collaborateurs), entreprise spécialiste de l’agencement et l’aménagement de magasin en mobilier en bois, a développé un nouveau mode de management, sans hiérarchie : l’holacratie. Exit le modèle pyramidal : les décisions sont prises à l’unanimité avec un principe de non-opposition. Un système qui permet plus d’efficacité et de réactivité en toute transparence. La société Sophia Engineering (250 collaborateurs) s’inscrit dans la même logique : l’entreprise d’ingénierie scientifique et technique privilégie la prise de décision par sollicitation d’avis et consensus sans objection. L’objectif étant d’avancer ensemble, le consentement vise à maintenir la cohésion du groupe, contrairement à un vote qui peut laisser à l’écart certains membres d’une équipe. Ainsi adoptée, la décision engage les collaboratrices et les collaborateurs, plus enclins ensuite à la mettre en place.
La quatrième révolution industrielle transforme en profondeur les besoins, les activités des entreprises. Leurs meilleurs alliés dans ce contexte sont ces digital natives particulièrement bien armés pour comprendre, accompagner, anticiper et tirer parti de ces transformations. Le numérique a donné aux millennials une culture de l’instantanéité et de la polyvalence. Habitués à recevoir et traiter des flux permanents d’informations, ils ont développé une rapidité d’analyse et d’action, ainsi qu’une grande agilité, qu’ils peuvent transmettre aux autres générations. Pour Jean-Louis Pierrel, responsable des relations universitaires d’IBM, “ils ne sont pas individualistes [...] mais leur sensibilité se résume à leur entourage proche. Ils sont vite discriminants si vous n’êtes pas capable de faire plusieurs choses en même temps, de vous prononcer rapidement sur tel ou tel sujet : il faut qu’ils soient toujours en tension.” Conscient de la polyvalence et de l’adaptabilité de ses recrues, le cabinet de recrutement Uptoo, spécialiste des métiers de la vente, propose, par exemple, à ses collaborateurs de mener des projets inédits pour les encourager à dépasser le cadre de leur fonction, et à contribuer différemment à la croissance de l’entreprise.
“Je pense qu’aujourd’hui, on ne fait plus 40 ans dans la même société et qu’il faut savoir saisir les opportunités qui se présentent.”
Fatoumata Toure, assistante commerciale chez Fidel Fillaud
En n’hésitant pas à changer d’emploi plus souvent que leurs aînés, les millennials sont porteurs d’expériences et de vécus professionnels plus riches : ils peuvent ainsi apporter à leur employeur un large éventail de bonnes pratiques – issues d’autres sociétés voire d’autres secteurs – qui la nourrissent et la challengent à la fois. La mobilité des millennials les pousse à développer une très grande capacité d’adaptation et d’ouverture d’esprit : plus flexibles et plus modulables que les autres générations, ils sont en mesure d’embrasser davantage de fonctions et d’acquérir des expertises dans des domaines très divers. En cherchant à les attirer et les retenir, les entreprises sont par ailleurs amenées à questionner leur marque employeur et leurs valeurs, à mettre en place une politique RH adaptée et des actions pour conserver et maintenir la culture d’entreprise : autant d’efforts qui bénéficient à l’ensemble des collaborateurs et qui ont un impact positif sur les activités de l’entreprise.
Les millennials font bouger les lignes du monde de l’entreprise et c’est une opportunité. Ces qualités ne pourront atteindre leur pleine puissance que si elles sont comprises, partagées et soutenues par les autres générations, dans une logique de complémentarité et non de rivalité. C’est ce qu’a bien compris le P-DG de Keyrus (3 000 collaborateurs), société de conseil spécialisée dans la transformation numérique, pour qui les jeunes “souhaitent un manager qui les comprenne, les soutienne et les conseille. Un mentor, capable de révéler leurs talents pour réaliser leurs passions”.
Cette génération continuera sans doute à faire débat, mais une chose est sûre : l’avenir est entre ses mains.
* Source : Corner Job, Les Millennials et le monde du travail, septembre 2018.