Créativité, esprit critique, capacité de négociation, fibre intrapreneuriale... Ces mots fleurissent dans les offres d’emploi tandis que lors des entretiens se multiplient les questions telles que « En quoi votre vie associative pourrait m’inciter à vous recruter ? », « Qu’avezvous appris de vos erreurs ? ». Les recruteurs cherchent ainsi à identifier les soft skills des candidats, autrement dit toutes les compétences qui ne sont pas liées à un savoir-faire technique et qui relèvent du savoir-être. Cette expression réunit en effet des traits de personnalité explorés depuis longtemps via des tests, mais surtout des compétences qui permettent d’interagir efficacement et harmonieusement avec l’environnement, qu’il s’agisse de s’adapter à autrui ou à une situation déstabilisante. Exemples : la capacité à gérer ses émotions, à travailler en équipe transverse, la confiance en soi ou l’optimisme. On sait aujourd’hui que ces compétences humaines, d’une part permettent d’optimiser les hard skills et donc de mieux réaliser ses missions, d’autre part constituent un potentiel que chacun peut développer. De quoi éclairer le choix entre deux candidats.
Un engouement croissant
Si les entreprises s’intéressent de plus en plus aux softs skills, c’est qu’elles ont de multiples vertus. « À diplôme identique, elles permettent au recruteur d’identifier la singularité d’un profil et les compétences interpersonnelles qui vont fluidifier son relationnel, d’évaluer si le candidat va répondre aux attentes, s’épanouir, s’adapter au quotidien et aux imprévus » explique Julien Bouret, cofondateur avec Jérôme Hoarau de CreapreZent et coauteur avec lui de Le Réflexe Soft Skills*. Grâce à elles, le nouvel embauché va également s’intégrer facilement, être plus rapidement opérationnel et performant. À plus long terme, il sera capable d’évoluer dans l’entreprise : « Plus on a de soft skills, plus on développe ses hards skills, ses connaissances et ses compétences, car on est curieux, motivé… Et on sait gérer son temps » commente Caroline Guichet, consultante RH du cabinet de recrutement Émergences RH à Nice.
Autre intérêt des soft skills, elles sont « contagieuses » : la prise de conscience, l’esprit d’entreprendre, la confiance en soi et la synergie créent un cercle vertueux pour en développer d’autres. Comment ? « Si je prends conscience, par exemple, que je sais gérer mon stress dans telle situation et veux m’améliorer, je vais apprendre à le gérer dans d’autres. Et, plus je vais être confiant dans mes capacités à y parvenir, plus cette confiance, par effet domino, va mettre mon entourage en confiance et l’aider à diminuer son stress » répond Julien Bouret. Enfin, l’entreprise est plus performante avec des équipes soudées et mieux armées, des collaborateurs capables de rebondir et d’apprendre en continu. Résultat, dans un contexte d’incertitudes et d’évolution accélérée des compétences techniques, 52 % des DRH accordent autant d’importance, voire davantage, aux soft skills qu’aux hard skills**. Signes révélateurs : dans des grandes entreprises, des budgets formation sont dédiés pour développer les soft skills ; des start-up les considèrent dans leurs recrutements comme essentielles à leur survie. depuis 2016, des cours consacrés aux soft skills ont été créés dans l’enseignement supérieur, comme au pôle Léonard de Vinci.
Les identifier et les détecter
Reste à savoir comment les intégrer dans un processus de recrutement, en évitant quelques pièges liés à leur subjectivité ou à leur caractère plus difficilement mesurable. Indiquer des soft skills dans l’offre d’emploi est utile mais il faut les contextualiser pour permettre aux candidats de comprendre les enjeux du poste et ce que recouvre plus précisément chaque soft skill. Les RH disposent aujourd’hui d’outils pour aider à les détecter. « Par exemple, l’algorithme “Place des Talents”, que nous avons mis au point avec des chercheurs de l’IRP*** de Montréal, dépasse les tests de personnalité classiques : il met en valeur les aptitudes, les capacités, et les projettent dans un poste précis, en présentant les compétences sur des échelles allant de “très faible à très élevé” » explique Marion Pageot, fondatrice d’Altagile, où cinq personnes développent des solutions RH digitales depuis 2015. Modulopi, start-up dijonnaise de 12 salariés, spécialisée dans l’intégrité des données techniques ferroviaires, y a recours pour recruter des data managers. « Nous ne cherchons pas de qualification, ni d’expérience particulière. Les candidats sont sélectionnés pour leur potentiel et leur envie d’intégrer notre start-up. C’est pourquoi nous avons renseigné le logiciel “Place des Talents” pour que l’implication et la f lexibilité, qualités majeures pour le poste, soient les premières informations que nous regardions. Nous les utilisons comme des indicateurs qui seront confirmés, ou non, lors de la rencontre avec les postulants » explique Marie Florensa, RH manager de Modulopi.
D’autres outils de recrutement affinitaire axés sur l’évaluation de la personnalité et de l’intelligence émotionnelle des candidats déterminent le type d’emploi et d’entreprise qui leur correspond le mieux. Les séances d’assessment, qui permettent d’observer les réactions des candidats en situation, peuvent aider à la sélection des candidats. Si ces dispositifs accélèrent la présélection, les entretiens restent décisifs pour confirmer les soft skills. C’est le moment d’observer si l’attitude du candidat est en phase avec son discours, de commenter son CV et les résultats de tests – comme l’oblige la loi Aubry –, de creuser ses expériences, ses talents relationnels, son état d’esprit et ses capacités à réagir.
Être efficace en quatre conseils
Le premier conseil : former les RH et les managers aux softs skills car il est difficile de repérer celles des autres et de les vérifier si l’on n’a pas identifié et cultivé les siennes. « C’est le moyen le plus puissant pour les détecter en orientant ses questions » constate Julien Bouret. D’autant que rares sont les candidats à les mettre en avant. « On peut facilement passer à côté du bon profil. Il n’y a pas que les jeunes qui sont dynamiques. La théorie doit être ancrée dans la pratique, au plus près des besoins du manager pour le poste » souligne Caroline Guichet.
Le deuxième : croiser les regards du RH, du n+1, des membres de l’équipe et, lors d’une prise de références, demander comment le candidat collaborait ou réagissait, etc.
Le troisième : s’outiller d’un test d’intelligence émotionnelle par exemple, mais aussi vérifier que son test de personnalité est au point ou faire évoluer sa grille d’entretien.
Et enfin, auditer régulièrement ses derniers recrutements : pourquoi ont-ils été un succès ? Identifier les éléments clés qui ont fait la différence permet d’apprendre à recruter les soft skills indispensables.
* Julien Bouret et Jérôme Hoarau, Le Réflexe Soft Skills, les compétences de leaders de demain, Dunod, 2014.
** Enquête réalisée par un institut de sondage indépendant pour Robert Half en avril 2016 auprès de 200 directeurs des ressources humaines en France.
*** Institut de recherche psychologique.